Tropisme par Marc Rombaut
Le tableau (acrylique sur toile, daté du 22 mars 1987 –Sans titre–) de Corine Sylvia CONGIU nous invite à un théâtre d’ombres et de lumières où l’événement créé représente une mise en abîme du visible. Cette œuvre surgit comme d’une radicalité formelle dans un espace matériel dynamisé par un vaste champ blanc qui renvoie toute la lumière.
Le paradoxe qui en résulte est que cette toile réfléchit une lumière noire … Signe que cette couleur blanche n’est pas celle de l’oubli mais une lumière incidente émanant des profondeurs de la toile.
L’œil va s’éprendre de cette surface lisse et se laisser happer par une présence dont l’intensité indique qu’elle est le sujet même de la toile.
Ce tableau est habité, hanté par cette "présence" dramatisée et exhibée au creux de cet impeccable ordonnancement blanc. Il produit des effets à retardements. Matérialisé par un trait rouge-sang tracé en diagonale par un pinceau scalpel, il provoque le regard, l’interpelle, le met en condition d’aller voir au-dedans la plaie rouge ouverte.
Ainsi fendue par un coup de scalpel sur toute sa largeur, la toile dévoile ce qui la meut de l’intérieur. Ce qui saigne-là, c’est ce qui n’est pas là en représentation, mais en avènement : le corps féminin. Le féminin se présente ici par sa coupure originelle.
Parce que le tableau nous suggère sa raison d’être, Corine Sylvia Congiu nous offre par un tropisme sa vérité en peinture.
Marc Rombaut, 1995
Marc Rombaut, écrivain, est aussi un producteur d’émissions littéraires, artistiques et musicales depuis 1969. Il a notamment produit et animé avec Jean-Pierre Verheggen une émission littéraire, « Idem », pendant de longues années (de 1974 à 1981). Cette émission –programmée le dimanche soir sur RTBF 3– possédait une durée de trois heures qui permettait un réel débat entre plusieurs interlocuteurs capables ainsi de développer leur pensée enrichie par les interventions des animateurs et autres invités. Outre la quasi-totalité des auteurs en langue française en activité à cette époque, d’autres créateurs issus d’horizons divers y étaient conviés. Emaillées de plages musicales pertinentes, cette émission fut très suivie tout au long de son existence. Les qualités intellectuelles des animateurs, leur sensibilité et leur sens de la répartie permirent à tous les invités de délivrer leur discours en toute liberté.
Tout en poursuivant son œuvre littéraire, Marc Rombaut mène aussi de nombreuses missions culturelles en Afrique et en Europe ; il a notamment enseigné et effectué des recherches en Afrique noire de l’ouest entre 1963 et 1969.
PORTRAIT D’ARTISTE
Par Yvonne Ollier
Corine Sylvia CONGIU
- Pouvez-vous vous présenter ? date et lieu de naissance, enfance, étude, vie professionnelle et familiale etc. Tous les éléments me permettant de vous connaître mieux.
· Je suis née à Meknès (Maroc), arrivée en France à l’âge de 11 ans, enfance et adolescence studieuse jusqu’après l’agrégation d’Arts plastiques, puisque j’entame aussitôt une année de philosophie, puis une thèse d’Arts Plastiques que je n’ai jamais terminée, car destinée à "y voir clair" dans ma peinture, celle-ci feinte toujours le discours et trouve de nouveaux chemins pour le surprendre et le contredire.
·
- Comment et quand avez-vous su que ce serait désormais votre chemin de vie ? Quel en a été la première motivation (l'environnement, le contact avec un professionnel etc.)
- J’ai découvert le monde artistique bien naturellement, bien tardivement, et bien douloureusement, après avoir été convaincue par la famille que j’étais l’artiste de la famille, par mes congénères écolières qui se disputaient les dessins que je distribuais non sans fierté. J’avais même gagné un concours national d’écoliers du Maroc à l’école maternelle, et ma mère a toujours la photo de moi posant timidement devant mon œuvre, un gros pigeon blanc. Ainsi persuadée que j’étais une artiste, mais prudente comme le voulait mon Papa, qui me disait que le professorat restait le meilleur moyen de subsister en étant artiste, j’écrivais sagement sur ma fiche d’élève tous les ans que je voulais être professeur de dessin.
Je suis restée parfaitement inculte en art jusqu‘en terminale, où j’ai eu la révélation de la philosophie, et je me souviens avoir vacillé brutalement dans la voie tracée depuis toujours. Mais j’ai tout de même entrepris des études d’Arts Plastiques, et c’est après l’agrégation et le DEA que je décidai vraiment de devenir ce que j’étais : un peintre avant tout.
Ce choix n'est pas toujours facile à assumer, comment l'avez-vous appréhendé ?
Il m’a fallu bien du temps et bien des hésitations avant de renoncer à être professeur en faculté, mais les exemples de copains tellement dévorés par leur activité universitaire qu’ils finissaient par ne plus rien faire, outre l’impossibilité de contenir et ligaturer ma peinture toujours mouvante dans un discours clos de thèse ont fini par me persuader de me concentrer sur mes activités artistiques
Hors de ce choix, quels sont vos loisirs ?
Le Tango, avec passion, en attendant la réalisation du projet de théâtre de laboratoire dont je suis co-fondatrice avec Luc Fritsch (son manifeste « L’innocence Théâtrale » vient d’être publié)
Si vous deviez vous définir en une phrase :
Impossible. (Acception libre).
A quelles qualités humaines êtes-vous sensible ?
La sensibilité, l’intelligence, la gentillesse, la passion des sentiments nobles, l’humour, la révolte, l’obscénité, la finesse, la bonne humeur, l’indépendance, l’insoumission.
A quels défauts êtes-vous allergique ?
La mollesse, la pleutrerie, la tyrannie, le ressentiment, le manque d’humour,
Vos plus grands bonheurs : Bonheurs d’amour.
Et douleurs : Malheurs d’amour.
En ce monde de technologie, comment situez-vous votre art…
J’utilise la peinture comme un médium de la chair, du corps, du sang, de l’eau, du feu, de l’air et de la terre. Cela peut changer, par hasard, par une trouvaille plastique, un nouvel intérêt, une lassitude. Je ne refuse pas la technologie, je fais aussi de la photo (j’ai fait une exposition de textes et photographies en mai 2003 en Egypte: Rencontres au féminin, Centre Culturel Français d’Alexandrie, ), de la vidéo, j’ai réalisé deux petits documentaires pour me familiariser avec le montage, "Comment il a fait pour atterrir sur cette feuille blanche" ou "Ca doit être dur de reproduire ça en plus petit" (Projection du court-métrage à la Mairie du 11°, Paris, 30 janvier 2007), Le Héros en 2008.
La technologie vous a-t-elle permis de mieux travailler ?
Du point de vue de la peinture, j’ai beaucoup utilisé des textes et images photocopiés ou tirés à l’imprimante. Du point de vue de tout le travail du peintre qui entoure la peinture et sa « publicité », la technologie m’est absolument indispensable pour prendre des photographies de mon travail, les corriger sur Photoshop, les envoyer…. Quel bonheur que de ne pas avoir à envoyer des dossiers par la poste !
Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre vie d'hier, d'aujourd'hui et de demain ?
Un regard que je voudrais plus serein.
Quel est, professionnellement parlant, votre plus grande joie et votre plus grand regret ?
Je n’ai pas de regrets par philosophie : amor fati. C’est difficile de choisir sa plus grande joie. Peut-être la Commande Publique du Lycée de Senlis, et les deux mois de sa réalisation. A ce propos, je vous propose la photo (en fichier joint) de Patrick Deletoille (à citer SVP) en photographie de 1° page.
Retrouvez notre artiste sur son site :
http://www.congiu.fr
ISBN 978-2-84562-103-9
Luc FRITSCH
Du tableau Sans titre et du texte de Marc Rombaut,
Le tableau, Sans titre, de Corine Sylvia Congiu –reproduit en couverture– fut choisi en fonction de multiples raisons. Je l’ai découvert en 1987 et, doucement, il pénétra ma mémoire. Lors de l’écriture de cet ouvrage, un jour, ce tableau resurgit. Ses formes et ses contenus correspondaient à mon projet de création d’un laboratoire, à sa conception même. Il fixait l’idée de convergencefondatrice de la recherche.
A l’origine, en le contemplant, je fus frappé par l’unique déchirure oblique qui le compose. Cette lente courbe apaisée et apparemment sanglante ne m’interrogeait pas, elle s’imposait comme une ouverture. J’y distinguai l’aperture théâtrale symbolique contenue en le lever de rideau. Cette ondulation aérienne descend résolument pour s’accrocher sur le côté comme se relèverait le pan gauche d’un rideau de scène. La scène apparaît.
Le blanc qui baigne l’espace nous renvoie à la concentration et à la sérénité, à l’immaculé de l’acte, à l’innocence de l’acteur. Placer ce tableau en couverture d’un ouvrage manifestant une volonté d’investigation me fut évident. Il est une symbolique théâtrale.
L’auteur du tableau est aussi co-fondatrice du laboratoire et l’un des acteurs qui ont développé les vecteurs centraux de l’investigation. Or sa collaboration ne se limite pas là, ce sont ses pulsions picturales et spatiales qui ont élargi notre champ d’action. Hors la question de la scénographie, la notion plastique agit le corps de l’acteur en sa gestuelle, ses impulsions à tracer l’espace, sa statuaire lorsqu’il détermine ses stases. Le pictural s’exerce au sein du visible émanant du corps de l’acteur qui projette un lisible destiné au spectateur. Peindre un tableau correspond à la facture qu’un acteur imprime à son corps et son espace, tel un subjectile, afin d’en extraire un champ visible et lisible.
La notion de présence est capitale ; celle du peintre s’exhale de son tableau comme celle d’un acteur. Nous avons toujours considéré l’interaction entre la discipline picturale et celle du théâtre comme axiomatique.
Pour créer un catalogue évolutif de son travail, Corine Sylvia Congiu eut l’idée de demander à plusieurs écrivains d’écrire sur une œuvre de leur choix. En 1995, Marc Rombaut rédigea le texte publié ci-après. Ce texte dévoile une corrélation étonnante entre le fond et la forme exécutée par le peintre. L’excellence de cette écriture matérialise sous un autre angle la perception que j’ai vécue. Elle cerne les éléments théâtraux spécifiques sur lesquels nous fondons notre recherche.
Si Marc Rombaut n’évoque nullement la symbolique du rideau en aperture du geste de l’acteur, il affirme que Corine Sylvia Congiu nous invite à un théâtre d’ombres et de lumières, il renchérit en nous indiquant que l’événement créé représente une mise en abîme du visible. De tels éléments appartiennent à notre pratique théâtrale et à ses concepts.
Atteignant une matérialité absolue, il affirme que le peintre donne vie à une présence dramatiséeau sein du tableau qui provoque le regard ; descriptif qui s’applique point par point au surgissement d’un acteur sur scène. Et si Marc Rombaut révèle une dimension féminine fondamentale, il prend soin de préciser un contexte qui n’est pas là en représentation, mais en avènement. Ultime notion d’un débat théâtral à instaurer : le théâtre ne devrait jamais se limiter à une représentation mais atteindre un avènement réitéré chaque soir.
Le texte de Marc Rombaut est en adéquation étroite avec notre dynamique investigatrice. S’ajoutant à la collaboration permanente avec le peintre et l’acteur, l’intervention d’un auteur rejoint notre souci de pluridisciplinarité concrète. Il était donc bien naturel pour nous de choisir Suite en jouï-dire, texte du même auteur, comme support pour notre première génération de recherche.
TROPISME par Marc Rombaut
Le tableau (acrylique sur toile, daté du 22 mars 1987 –Sans titre–) de Corine Sylvia CONGIU nous invite à un théâtre d’ombres et de lumières où l’événement créé représente une mise en abîme du visible. Cette œuvre surgit comme d’une radicalité formelle dans un espace matériel dynamisé par un vaste champ blanc qui renvoie toute la lumière.
Le paradoxe qui en résulte est que cette toile réfléchit une lumière noire … Signe que cette couleur blanche n’est pas celle de l’oubli mais une lumière incidente émanant des profondeurs de la toile.
L’œil va s’éprendre de cette surface lisse et se laisser happer par une présence dont l’intensité indique qu’elle est le sujet même de la toile.
Ce tableau est habité, hanté par cette "présence" dramatisée et exhibée au creux de cet impeccable ordonnancement blanc. Il produit des effets à retardements. Matérialisé par un trait rouge-sang tracé en diagonale par un pinceau scalpel, il provoque le regard, l’interpelle, le met en condition d’aller voir au-dedans la plaie rouge ouverte.
Ainsi fendue par un coup de scalpel sur toute sa largeur, la toile dévoile ce qui la meut de l’intérieur. Ce qui saigne-là, c’est ce qui n’est pas là en représentation, mais en avènement : le corps féminin. Le féminin se présente ici par sa coupure originelle.
Parce que le tableau nous suggère sa raison d’être, Corine Sylvia Congiu nous offre par un tropisme sa vérité en peinture.
Marc Rombaut, 1995
Marc Rombaut, écrivain, est aussi un producteur d’émissions littéraires, artistiques et musicales depuis 1969. Il a notamment produit et animé avec Jean-Pierre Verheggen une émission littéraire, « Idem », pendant de longues années (de 1974 à 1981). Cette émission –programmée le dimanche soir sur RTBF 3– possédait une durée de trois heures qui permettait un réel débat entre plusieurs interlocuteurs capables ainsi de développer leur pensée enrichie par les interventions des animateurs et autres invités. Outre la quasi-totalité des auteurs en langue française en activité à cette époque, d’autres créateurs issus d’horizons divers y étaient conviés. Emaillées de plages musicales pertinentes, cette émission fut très suivie tout au long de son existence. Les qualités intellectuelles des animateurs, leur sensibilité et leur sens de la répartie permirent à tous les invités de délivrer leur discours en toute liberté.
Tout en poursuivant son œuvre littéraire, Marc Rombaut mène aussi de nombreuses missions culturelles en Afrique et en Europe ; il a notamment enseigné et effectué des recherches en Afrique noire de l’ouest entre 1963 et 1969.
Arthur Adamov, essai, The French Review, USA, 1971
Le festin, poésie, Guy Chambelland Editeur, Paris, 1969
La jetée et autres solitudes, poésie, Guy Chambelland Editeur, Paris, 1969
Le regard sauvage, poésie, Saint-Germain-des-Prés Editeur, Paris, 1972
La nouvelle poésie negro-africaine d’expression française, essai, Cahiers de Cedaf n°5, Bruxelles, 1972
Nuit et paroles, Poésie, Saint-Germain-des-Prés Editeur, Paris, 1975
La poésie negro-africaine d’expression française, essai (introduction, anthologie, bibliographie) Editions Seghers, Paris, 1976
La parole noire, essai, in Poésie 1, n°43, n°44 (essai, anthologie, entretiens, bibliographie), Paris, 1976
Suite en jouï-dire, récit, Editions Christian Bourgois, Paris, 1978
Le Récit et sa représentation(Actes du colloque « Idem 1 »), En co-direction, Paris, Payot, 1978
Les Minorités dans la pensée(Actes du colloque « Idem 2 »), En co-direction, Paris, Payot, 1979
Matière d’oubli, suivi d’Anamorphoses, poésie, Editions P. Belfond, Paris, 1983
Paul Delvaux, essai, Editions Albin Michel, Paris, 1990, Paris (Traduction en espagnol, anglais, japonais, néerlandais et chinois)
La lettre du nom, poésie, Edition In’Hui, 1990
Pier Paolo Pasolini, essai, Editions Marval, Paris, 1991
Miroirs de l’autre, poésie, Editions In’Hui, 1995
Le chat noir laqué, roman, Editions du Seuil, Paris, 1996 (Traduction en allemand : Editions Ullstein, Berlin, 1997)
Ombres sur une piscine jaune, roman, Editions du Seuil, Paris, 2000
Ville Sanguine, roman, Editions du Seuil, Paris, 2003
à paraître en septembre 2006
La chose noire, roman, Editions du rocher, Paris
A gauche : Art Recherche Politique, rouleau participatif de Corine Sylvia Congiu au Palazzo Duccale, Manifestation internationale Genova 2004
Erratum p 12 en haut à droite : " Quand Godard dit "Non pas une image juste, mais juste une image"